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Auteurs Messages

Salus
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Messages : 6953


Posté à 18h17 le 20 Feb 17







Glose N° 21



Pas de quatrain ce jour ! (le procédé fatigue)
Nous nous contenterons de ces alexandrins
Pour soutenir un peu le rythme de l'intrigue.
(Poussez la voix, suivant l'avis de vos lutrins !)



Hissant haut la bannière électrique de la poésie,
gréant, au pataras géant de ses poulies fictives,
le dithyrambe enflammé des admirations sans bornes
comme le désaveux tonitruant de ses immenses dégoûts,
la Revue Éclectique Alternative (R.É.A)
Ne craint pas de vous présenter la 21ème mouture de ses

« Aberrations logorrhéiques » et autres pamphlets soliloques…




…Arthur Rimbaud disparaît discrètement du 19ème siècle, laissant, par une déchirure pérenne de la réalité, le passage ouvert aux possibilités d’une magie poétique enfin tangible ; mais le miracle est rare, la porte reste ouverte…

Le 19ème regorge, abonde, c’est l’âge d’or, avec le début du 20ème, de la poésie française, et peut-être internationale ; à ce propos, je voudrais stipuler que les présentes gloses ne cherchent aucunement à recenser ce que les siècles comptent de poètes, même majeurs, (en ce cas les lacunes seraient légion) mais bien plutôt à donner une idée, partiale et parcellaire, du cheminement historique de la poésie, tant du point de vue technique (rappelons que Boileau, 1636 / 1711, qui rimait parfois comme un cochon, en fut un législateur tyrannique…), que du point de vue philosophique, voire « magique », cette dernière sphère étant bien sûr la plus difficile d’approche, et à mon sens la plus passionnante…(Un des critères d’une poésie « magique » étant qu’elle résiste à toute forme d’exégèse)

Les « horribles travailleurs » se succèdent, se lisent, s’entrelacent, les recherches se multiplient, et quelques auteurs découvrent, avec les innombrables possibilités ouvertes par une liberté désormais vertigineuse, (nous parlons de versification), découvrent des tons et des façons nouvelles et parfois heureuses ; ainsi Jules Laforgue perfectionne-t-il l’art du vers « faux », tandis que Charles Cros, tout en se faisant éhontément piquer ses inventions (dont le phonographe), développe des rythmes et des ambiances où, fût-ce pour le vilipender, le texte se rapproche dangereusement du public.

Voyons un peu :


Charles Cros (1842-1888).
Recueil :Le collier de griffes (posthume, 1908).


Aux imbéciles.


Quant nous irisons
Tous nos horizons
D'émeraudes et de cuivre,
Les gens bien assis
Exempts de soucis
Ne doivent pas nous poursuivre.

On devient très fin,
Mais on meurt de faim,
À jouer de la guitare,
On n'est emporté,
L'hiver ni l'été,
Dans le train d'aucune gare.

Le chemin de fer
Est vraiment trop cher.
Le steamer fendeur de l'onde
Est plus cher encor ;
Il faut beaucoup d'or
Pour aller au bout du monde.

Donc, gens bien assis,
Exempts de soucis,
Méfiez-vous du poète,
Qui peut, ayant faim,
Vous mettre, à la fin,
Quelques balles dans la tête.



Hein, percutant, n'est-il pas ?
Puis :

''Jules laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort dans le 7e arrondissement de Paris le 20 août 1887, était un poète français. Connu pour être un des inventeurs du Vers libre, il mêlait en une vision pessimiste du monde mélancolie, humour et familiarité du style parlé.''
(dixit Wikitruc)

Exemple :



  Blasé, dis-je ! En avant,
Déchirer la nuit gluante des racines,
A travers maman, amour tout d’albumine,
Vers le plus clair ! vers l’alme et riche étamine
D’un soleil levant !

— Chacun son tour, il est temps que je m’émancipe,
Irradiant des Limbes mon inédit type !


« Complainte du fœtus de poète », (premiers vers)

Et la fabuleuse :


Complainte des Complaintes

 
Maintenant ! pourquoi ces complaintes
Gerbes d'ailleurs d'un défunt Moi
Où l'ivraie art mange la foi ?
Sot tabernacle où je m'éreinte
À cultiver des roses peintes ?
Pourtant ménage et Sainte Table !
Ah ! ces complaintes incurables,
Pourquoi ? pourquoi ?

Puis, Gens à qui les fugues vraies
Que crie, au fond, ma riche voix
– N'est-ce pas, qu'on les sent parfois ?
Attoucheraient sous leurs ivraies
Les violettes d'une Foi,
Vous passerez, imperméables
À mes complaintes incurables ?
Pourquoi ? pourquoi ?

Chut ! tout est bien, rien ne s'étonne.
Fleuris, ô Terre d'occasion,
Vers les mirages des Sions !
Et nous, sous l'Art qui nous bâtonne,
Sisyphes par persuasion,
Flûtant des christs les vaines fables,
Au cabestan de l'incurable
Pourquoi ! – Pourquoi.


C'est excellent, et je suis poli ! ...Notez au passage l'impasse faite sur les diérèses « d'occasion » et de « persuasion » qui rappellent la poétique salucéenne ! (ou l'inverse)

…Laforgue meurt vite, et mal.

Aux mêmes époques et dans une recherche équivalente de transcendance "post-rimbaldienne", on peut citer Tristan Corbière, génie triste et désabusé qui nous a laissé de magnifiques vers :


Le Crapaud


Un chant dans une nuit sans air…
– La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.

… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… – Horreur ! –

… Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.



Tristan Corbière - Les Amours jaunes


…C’est noir, volage, romantique, intelligent.
Vous remarquerez que c’est une sorte de « sonnet inversé », qu’il y règne une absence de rigueur toute de faux-semblant, et qu’on y trouve même un vers de neuf syllabes !

Poète d'un humour méchant, il n'oublie pas, avec quel bonheur,
de jouer de la langue verte (extrait de "Idylle coupée") :


J'aime les voir, chauves, déteintes,
Vierges de seize à soixante ans,
Rossignoler pas mal d'absinthes,
Perruches de tout leur printemps ;



Nous devrions aussi parler de Germain Nouveau et d'Edmond Rostand, mais je n’ai plus le temps que de vous en conseiller la lecture !
Et, dans un registre plus conventionnel, fruits de ces périodes de renouveaux et de modernités, mais fruits mûris aux soleils grecs des éternités classiques, nous finirons cet exposé par les vers du grand Albert Samain, qui a déjà clos l'antépénultième cession (on ne s'en lasse pas !); mais le 19éme siècle nous verra revenir, car son foisonnement mérite bien encore quelques réflexions…

Albert Samain (1858 - 1900)


La chimère


La chimère a passé dans la ville où tout dort,
Et l’homme en tressaillant a bondi de sa couche
Pour suivre le beau monstre à la démarche louche
Qui porte un ciel menteur dans ses larges yeux d’or.

Vieille mère, enfants, femme, il marche sur leurs corps...
Il va toujours, l’œil fixe, insensible et farouche...
Le soir tombe... il arrive ; et dès le seuil qu’il touche,
Ses pieds ont trébuché sur des têtes de morts.

Alors soudain la bête a bondi sur sa proie
Et debout, et terrible, et rugissant de joie,
De ses grilles de fer elle fouille, elle mord.

Mais l’homme dont le sang coule à flots sur la terre,
Fixant toujours les yeux divins de la chimère
Meurt, la poitrine ouverte et souriant encor.



Salut,
Salus !



Ancienmembre
Membre
Messages : 391


Posté à 12h09 le 21 Feb 17

Citation de Salus :
[…]voire « magique », cette dernière sphère étant bien sûr la plus difficile d’approche, et à mon sens la plus passionnante…(Un des critères d’une poésie « magique » étant qu’elle résiste à toute forme d’exégèse) […]


Oui. Dans le sens où il y a un truc, comme dans l’émission de Gérard Majax jadis. Des vers comme des mantras ; il se passe quelque chose mais difficile de décrire ce « magique », cet indicible. Il y a l’aspect autotélique de l’écrit – recherché par Rimbaud entre autres- et le pan « communication » -même si ce mot peut être perçu à la sauce marketing moderne-, le pan communion, dira-t-on (Raton !) plutôt (wouaf wouaf), l’absolue nécessité d’intégrer que l’écrit n’existe que s’il est lu.
Bon, je ne dis pas grand-chose de plus que toi Salus ici mais j’abonde… ça fait plaisir parfois de voir écrites des idées, impressions qu’on ressent soi-même ; ça participe aussi de cette magie, je pense.

Il en reste 6 pour s’approcher encore plus de notre temps et plus ça vient, plus ça m’intéresse, gracias.


Salus
Membre
Messages : 6953


Posté à 20h23 le 21 Feb 17


Justement, il n'y a pas de truc !
c'est l'équilibre de l’œuf - dont je te garanti l’authenticité - et notre inconscient est VRAIMENT structuré comme un langage ; autrement dit, nous sommes fabriqués PAR le langage !
- Ah bon, pas le contraire ? Si, le contraire aussi.

Merci pour ton intérêt.

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