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Auteurs Messages

Salus
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Messages : 6953


Posté à 18h34 le 28 Feb 17







Glose N° 27



Où l'auteur exagère, espiègle,
D'autant que le lecteur le suit,
Aux méandres du demi-siècle,
Il fait voir que l'azur s'enfuit !


Hum !

D’une périodicité semi-aléatoire et d’un aplomb frôlant l’outrecuidance,
camouflant sous des dehors patelins, de graves intentions, voire quelque projet intellectuel,
la rubrique, désormais internationalement reconnue (par tout ceux qui regardent les images),
se propose d’elle-même à votre lecture attentive, il s’agit des « 27ème GLOSES », vous n’osiez plus les espérer !


Nous nagions en plein surréalisme, avec Artaud, qui se posait un peu là ;
Passons sur Tristan Tzara et le dadaïsme, avatar majeur du courant précédent qui produira quelques autres jolies impasses littéraires, ainsi que des biefs allant hélas pour la Muse, de « l’Oulipo », qui reste une expérience intéressante, jusque, et quoique les « nouveaux réalistes » s'en défendissent, à Andy Warhol, haïssable publiciste, vendu à la bêtise et au profit, chantre mou de la couleur vive…

On citera plutôt Paul Eluard, un cas lourd de schizophrénie poétique, puisque il est capable, aussi bien que des traits de génie, de créer sans rire une épouvantable « Ode à Staline » qu’une muse syphilitique et cagneuse lui éructe à longs jets douloureux - attention, je ne parle même pas des idées ! - jugez plutôt –



Ode à Staline (1950)
 

Staline dans le cœur des hommes
Sous sa forme mortelle avec des cheveux gris
Brûlant d'un feu sanguin dans la vigne des hommes
Staline récompense les meilleurs des hommes
Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir
Car travailler pour vivre est agir sur la vie
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes.
 
Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd'hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d'amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite



Impardonnable ! Très mauvais, beuarck !
A la même époque, ce qui est un comble, il écrit « Liberté », son best-seller, qui n’a jamais su me charmer, tant je le trouve long, facile et redondant – moi, le « comique de répétition » hein !

Or, s’il a commis le pire, ce garçon, dont le fond était plus clair que l’idée, s’avérait capable du meilleur :

Paul Eluard


L'AMOUREUSE


Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.

Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.


…Et c’est très beau !
Ainsi est toute son œuvre, oscillant entre gemmes et virgules…


Quoiqu’il ait dit beaucoup de bêtises, à l’instar de son coreligionnaire précité, cet autre aède en a écrit beaucoup moins ; son stalinisme patent et son patriotisme douteux, identiquement flous et dangereux, s’effacent au profit d’une poésie de tout premier ordre, fût-elle politique, ce qui est un signe d’exception, il jongle avec les émotions comme avec les mots, colle à l’histoire en restant intemporel, et, mécanicien hors-pair, réactive la machinerie moyenâgeuse fort grippée de l’amour courtois, tour de force littéraire mené avec un brio jamais démenti (bien des poèmes à Elsa, qui s’appelait vraiment Triolet, après s’être – vraiment – appelée « Kagan », sont des merveilles d’azur, il s’agit, mais oui, de LOUIS ARAGON dont je vous passe séance tenante ce texte infiniment poétique, portant sur le Front populaire :


Je chante pour passer le temps


Je chante pour passer le temps
Petit qu’il me reste de vivre
Comme on dessine sur le givre
Comme on se fait le cœur content
A lancer cailloux sur l’étang
Je chante pour passer le temps

J’ai vécu le jour des merveilles
Vous et moi souvenez-vous-en
Et j’ai franchi le mur des ans
Des miracles plein les oreilles
Notre univers n’est plus pareil
J’ai vécu le jour des merveilles

Allons que ces doigts se dénouent
Comme le front d’avec la gloire
Nos yeux furent premiers à voir
Les nuages plus bas que nous
Et l’alouette à nos genoux
Allons que ces doigts se dénouent

Nous avons fait des clairs de lune
Pour nos palais et nos statues
Qu’importe à présent qu’on nous tue
Les nuits tomberont une à une
La Chine s’est mise en Commune
Nous avons fait des clairs de lune

Et j’en dirais et j’en dirais
Tant fut cette vie aventure
Où l’homme a pris grandeur nature
Sa voix par-dessus les forêts
Les monts les mers et les secrets
Et j’en dirais et j’en dirais

Oui pour passer le temps je chante
Au violon s’use l’archet
La pierre au jeu des ricochets
Et que mon amour est touchante
Près de moi dans l’ombre penchante
Oui pour passer le temps je chante

Je passe le temps en chantant
Je chante pour passer le temps



Louis Aragon, Le roman inachevé, 1956

Vous le connaissiez ? Oui, oui, Léo Ferré l’a chanté, et Marc Ogeret…
Mais si vous connaissez Ferré, vous ignorez peut-être l’intégrale de « Bierstube Magie Allemande » (Est-ce ainsi que les hommes vivent) c’est très beau, il aurait dû tout chanter, l’aut’ feignant ! (Mais il est trop long, allez le chercher vous-même !)

« Il n’y a pas d’amour heureux » dont Brassens a, avec raison, peut-être avec génie, supprimé le dernier couplet, est un des plus beaux poèmes du monde ! celui-là je vous le passe ! (entier)


IL N’Y A PAS D’AMOUR HEUREUX


Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce

          Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désœuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes

          Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent

          Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare

          Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs

          Il n'y a pas d'amour heureux
          Mais c'est notre amour à tous les deux



Louis Aragon (La Diane Française, Seghers 1946)


Magnifique… on relèvera, chez ce « surréaliste technique » (par opposition à Artaud, « surréaliste pulsionnel  ») une grande rigueur, vis-à-vis des règles de la versification classique, mêlée à une capacité de liberté maximum, le tout au service du, justement, surréalisme, exemple :

(un couplet de ce bijou poétique : « L’Amour qui n’est pas un mot ») – quel titre !



Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse



...J'ai beau l'avoir lu 1000 fois ce sizain me plonge toujours dans une stupeur ravie !
On trouve ici un bon exemple du surréalisme absolu des mots d’Aragon, capable d’emmêler le langage avec une rare finesse musicale pour qu’il en sorte plus d’émotion que de sens…
Aragon ?- un poète majeur, une très grande maîtrise au service d’une langue « parfaite », d’un extraordinaire pouvoir évocateur ! Massacré par Jean Ferrat, (je vais me faire des amis !) qui néanmoins le popularise, ses vers sont à l’Académie ce que la vodka est à la bouteille : l’esprit.
Allez, un p’tit dernier, pour la route (pas de titre, à celui-là) :


Quand ce fut une chose acquise
Et qu'il devint bien évident
Qu'ils allaient ouvrir la valise
Et voir ce qui était dedans

Il t'a suffi pour tout me dire
Ce qu'on ne s'était jamais dit
Ce qu'on ne rêve pas d'écrire
Ce que le cœur en vain mendie

Tous les mots qui jamais ne viennent
Les mots qu'on remet à demain
De serrer ma main dans la tienne
Longuement simplement ma main


Louis Aragon ~ Le roman inachevé


Bon, on n'aura pas fait grand chose, aujourd’hui… mais quand même ! …Et puis, il pleut ! A bientôt ?
A bientôt !

Salus

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