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Poésie libre / Un pont ça ne fait pas la révolution
              
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Un pont ça ne fait pas la révolution
par Gregouw


Je suis un jeunot comparé à ces ponts immuables qui ont traversé les siècles. C’est peut-être mon jeune âge qui me pousse à écrire aujourd’hui, c’est surtout leur confort qui les a endormi et les a rendu indifférent devant l’abject. Que la vie est facile quand on a les pieds dans l’eau. Que la vie est facile quand les seules personnes qui viennent vous chatouiller entre les omoplates le font pour des photos. Croyez-moi quand vous êtes à la rue en plein Paris, la vie est moins facile, entre le froid, les rats, les flics et les particules fines. C’est là que je vis, au milieu de cette immense fourmilière où tout le monde semble si pressé. Tellement pressé qu’un jour, quelques fourmis ouvrières vinrent couvrir mon dos de rails en métal. Métro. Et toute cette foule si pressée par le temps, se retrouva tout aussi pressée, à l’étroit, dans ces wagons aliénants. Métro, boulot, dodo. Enfin dodo, pas pour moi. J’ai longtemps envié ces monuments classés dont la quiétude n’est interrompue que par quelques amants flânant entre deux rives, déambulant dans un rêve éveillé. Moi je reste là dans le désordre de la ville. Régulièrement mes oreilles sifflent, des ponts, pas des murs, scande-t-on de par le monde. Mais combien m’évitent chaque jour pour ne pas croiser la foule de ces êtres laissés pour compte. Qui meurent et souffrent en silence loin des slogans et du doux rêve que l’on se raconte. Je la connais la réalité, moi qui depuis longtemps les accueille, et cette réalité est immonde. Pas de murs d’accord, mais pas plus de pont non plus, plus d’amour assurément et plus de claques. Oh oui si j’avais des mains, j’en distribuerai un paquet des claques. Pour vous réveiller, pour rééquilibrer les destins, parce que c’était déjà honteux quand il s’agissait de l’idiot du village mais que ça en devient répugnant quand ce sont des peuples entiers. J’entends ces passants qui s’extasient devant mon apparence. “Regardez les enfants, comme ce pont est magnifique, regardez en haut surtout, pas en bas, voyez ce dont sont capable nos ingénieur-es, ces ponts, ces gares, sont le reflet du génie humain.” Vas-y continue, fais leur toute la liste, n’oublie pas évidemment ces oléoducs, ces drones meurtriers, cette destruction irresponsable de notre environnement. Génie humain mes pierres oui ! Je suis peut-être un peu pont, mais j’ai jamais empêché quelqu’un de traverser sur mon dos. “Allez hop montez dans ce métro les portes vont bientôt se fermer.” Allez ciao les enfants, j’espère qu’à la prochaine station, quand les portes s’ouvriront, vos yeux les imiterons. Alors non, je ne veux pas de ces gens qui construisent des ponts. Je veux être auprès de ces gens qui luttent pour que plus personne ne dorme à mes pieds, que tout le monde ait à manger, que cette devise soit respectée. Alors non, depuis déjà trop d’années, je n’attends plus la quiétude, j’attends juste que l’on donne un toit à ces fourmis que les braves gens piétinent. Juste. Et j’attends, j’attends parce que je ne suis qu’un pont et qu’un pont ça ne fait pas de révolution. Mais toi, toi qui est aussi révoltée que moi, je te le dis n’hésite pas. Si cela peut tout faire changer, n’hésite pas, fais moi sauter.



Poème posté le 24/03/23 par Gregouw



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