L'infini.... L'idéal....
par Marie DAUGUET
L'Infini ?... l'idéal ?... - Quel nom faut-il dresser ?
Ah surtout, il n'est pas dans l'heure quotidienne,
Les sentiments connus et les mots ressassés,
Il faut les écarter pour qu'ils nous appartiennent.
Il parle dans un bal villageois, rude et fort,
A travers le piston, le tambour et le fifre,
Et quand le terroir d'or alentour est comme ivre
Et que le vent d'été est un baiser qui mord.
Il parle au rythme dur d'une danse cosaque,
Héroïque, brutale et dont les bottes claquent ;
Avec l'accordéon qu'on entend sur un lac
Suisse et mêlé au bruit glauque et frais du ressac.
Il est dans le chalet ouvert sur la vallée,
Celui de mon enfance, au creux du bois qui dort,
Sauvage, amer, profond, en la nuit étoilée
Et le cri pathétique épars au ciel du cor.
Aux vitraux nuancés de ce kiosque sylvestre,
Sous les acacias dont les fleurs se défont,
Dans la première fois qu'on entend un orchestre
Pauvre, de ville d'eau, où tout le coeur se fond.
Dans le soir où ma tante a chanté l'Africaine,
Au château de Francourt, et pour mon oncle épris
Seulement ; on était près du piano d'ébène,
Petit enfant tremblant et qui a tout compris.
Au voile qui sentait bon et parmi la nacre
Du chapelet et l'odeur des lys de juillet
Répandu avec l'âme au pied du tabernacle
Des enfants de Marie.. Et l'on communiait.
***
C'est un frisson qui court dans le trépas des bêtes ;
Quand tu mourus, mon pauvre chien que j'aimais tant,
Je le sentais errer sous mes mains, sur ta tête,
Dans tes yeux, mon Boby, pleins d'un secret charmant.
Il est le cri souillé des geais qui se chamaillent
Et le sentier noirâtre où Vénus descendit
Jeter un peu d'argent sur une eau qui s'écaille,
Ou quand l'aboi du loup tout à coup resplendit.
Il est cette stupeur au fond de l'écurie
Du taureau magnifique et qu'enivre son sang,
Qui porte sous les cils un encens rougeoyant,
Dont le galopement fait trembler la prairie.
***
Il fut encor, charmant île où je me guéris
Un peu, pour commencer - toi qui plaignis Jean-Jacques -
Ile Saint-Pierre, il fut parmi tes joncs fleuris
Où je m'étais couché en sortant de la barque.
J'appuyais à ton sol mon front pesant, voilé,
Mon cœur qui n'était plus qu'une immense blessure ;
J'ai senti ton accueil et tu m'as consolé
Et je sais pour toujours comment le ciel t'azure.
Mais c'est si rarement que tu nous consolas,
Toi, l'Idéal cruel, même parmi les fêtes :
L'essor qui se brisa contre un mur dressé là,
Toi l'éclair... altérant et l'étreinte incomplète ;
Idéal qui nous fit chasser avec dégoût
De notre âme et des sens, la joie où rien ne change
Et nous prêta devant chaque idole debout,
Officielle ... un rire sourd de mauvais ange.
***
Le tintement de l'eau sur un pavé de grès...
Cette fontaine obscure au coeur de la forêt,
Retrait où nos vingt ans souffrants virent en songe
L'amour qui s'approchait sous un rayon qui plonge
Sa douceur dans la mousse ; où chante un oiselet ;
Où glissait la fontaine d'ombre qui fuyait ;
Le tremblement de l'eau sur le grès, et qui pleure,
Tandis qu'un roitelet dans les buissons s'épeure.
***
Les yeux qui nous aimaient que la mort laisse ouverts
Et qu'il nous faut fermer. Infini, ta réponse
précise à la question : "Où sont - ils dans l'éther ?
Entends-tu le sanglot que nos deux mains renfoncent ?"
Infini ! Idéal ! Des biens fades offerts,
Des poncifs acceptés dupant le cœur, les nerfs,
Des autres !... - Admirons les rêves qui déchirent,
Au moins, surtout en pleurs, tout entiers l'on respire.
Et puis enfin, j'aurai vécu, je puis mourir...
En te pardonnant de m'avoir fait tant souffrir.
Poème posté le 04/06/16
par Rickways
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