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Poésie libre / Les étudiants de la rue soufflot
              
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Poésie libre / Les étudiants de la rue soufflot

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Les étudiants de la rue soufflot
par Johnyvel


Je buvais mon café entouré d’étrangers. Rue Soufflot, les étudiants montaient ou descendaient, à toute allure. En haut, tout autour du panthéon, des bibliothèques. On y va pour travailler et on y reste, même quand on ne travaille plus, enchaîné à sa chaise par des nœuds de culpabilité. En m’empêchant de m’occuper, l’enfermement m’offrait la liberté d’explorer non pas ce qu’il y avait autour de moi, mais ce qu’il y avait en moi. Parfois, on s’étudie soi-même, plus qu’on étudie ses cours. Ils vont et viennent comme un nuage de sable ou un essaim d’oiseaux migrateurs. De loin, ils ont tous les mêmes visages, les mêmes sacs à dos, les mêmes regards. Pour avoir été à leur place, j’ai l’impression de les connaître et je devine qu’en chacun d’eux se trame un grand bouleversement. A l’époque, je me souviens de m’être assis dans cette crêperie, sur la table juste à côté. Ce jour-là, j’avais décidé d’arrêter la course contre le temps et de sortir du nuage pour, cette fois-ci, le regarder d’en haut à la manière d’un astronaute. Cette prise de vue nouvelle me plaisait, et j’avais eu le sentiment de sauter d’un bateau quand, sans laisser de pourboire, je m’étais levé puis laissé emporter par un courant marin, descendant, jusque dans la bouche aspirante du RER. Je me souviens trop bien de cette traversée, variable selon l’heure du jour ou selon le sens ascendant ou descendant. Tantôt portée par l’espoir et la motivation, tantôt par la mélancolie ou l’épuisement, elle était corrosive pour l’âme comme une polisseuse à cailloux. J’ai l’impression de les connaître mais eux ne me connaissent pas. Quand je me lèverai pour rentrer chez moi, ce sera comme retourner dormir dans mon ancienne chambre d’enfant, rue Jean Richepin, que je porte en moi mais qui n’est plus à moi ; car entre-temps d’autres enfants y auront dormi, puis se seront réveillés pour prendre le petit déjeuner dans la cuisine attenante avec d’autres parents. Les lieux restent et les gens passent. Le temps fait son travail de balayage et disperse les grains de sable. Les lieux appartiennent aux souvenirs. Le jour venu, il faut quitter son appartement, quitter sa rue, la rue Soufflot, pour un passage de relais sans visage. Je n’ai jamais voulu vendre ma rue, ou passer le témoin, mais c’est ainsi. On porte en soi les lieux mais on ne les possède pas. En revenant, j’ai ce sentiment étrange d’être chez moi tout en n’étant pas à ma place. Tel un sportif retraité marchant sur un stade ou un adulte dans une cour d’école, je sens bien que ce lieu du passé, bien qu’accessible, ne m’est plus adapté. Ici, je suis maladroit, presque disproportionné. Eux sont à leur place. Ces étudiants qui vivent un peu chez moi sans m’avoir jamais demandé la permission…. je sais bien qu’ils ne me doivent rien. Le fait de me reconnaître en eux me rassure car j’ai l’impression qu’ils permettent à l’étudiant que j’étais de survivre au temps. Ils m’aident à consolider le souvenir de qui j’étais, pilier essentiel de mon identité actuelle. Ces étudiants, ces étrangers me rassurent et me font exister. Ils entrent dans mon souvenir, pénètrent ma mémoire incertaine et se mêlent à ma vie comme s’ils en faisaient partie depuis toujours - « Un crêpe Monsieur » ? - « Juste un autre café et l’addition, merci » Me faire appeler « Monsieur » ici est une anomalie qui me rappelle mon physique, mon âge, ma stabilité. Je m’éloigne du jeune homme que j’étais et que je pensais retrouver en venant le voir chez lui, dans sa rue. Avec ce « Monsieur », souvenir et présent s’entrechoquent. Après le goût familier, un arrière-goût amer qui rend la dégustation plus étrange encore que s’il était nouveau.



Poème posté le 27/01/22 par Johnyvel


 Poète
Johnyvel



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